J’ai skié avec un positif !!

(Inspiré de faits réels)

Le givre recouvre l’avenue que je remonte. Blancheur nocturne d’une nuit d’hiver. Lyon la polluée, Lyon la brumeuse, Lyon je te laisse derrière moi. Je quitte cet endroit me rappelant trop certains films sombres où, au détour d’une ruelle mal éclairée, un homme au couteau trop bien acéré traverse d’un seul regard la peau tendre d’une belle égarée. Mortelle et désolée, ma ville aux allures de déprime me regarde m’éloigner. Et moi, je la quitte sans un regard, détaché. Comme un voleur.

Sur mon visage, le masque Chinois du monde d’après recouvre les trois quart de ma fatigue et de mon âge avancé. La nuit froide enveloppe le bitume qui défile sous les roues de mon bolide qui ne dépasse pas les soixante dix kilomètres heure d’un périphérique sous contrôle radar. Malgré le chauffage poussé à fond, j’ai froid. A la radio, que l’on a qualifié en d’autres temps de libre, passe « Né quelques parts » de Maxime Le Forestier. La musique appropriée ouvre en moi des chakras refermés. Elle me situe, me place, me rappelle où j’habite bien mieux que Google map et tous les satellites spatiaux qui surveillent le moindre de nos gestes. Ah, Lyonnais !! Le brouillard trace un long couloir dans les phares de ma voiture qui deviennent alors les sabres laser d’un Dark Vador imaginaire. J’avance autant que je roule. Malgré cela, je suis optimiste. Dans deux heures, je serais avec deux types sympas. Des positifs à la vie.

Sur le parking du Pleynet où un nombre incalculable de voitures s’entassent, des gens positifs sortent de leurs voitures, des skis, des sacs remplis de tonne de tubes de crème solaire, des chaussures à quinze boucles, dernière génération d’une marque prestigieuse à mille euros la paire. Nous sommes en station. Le parking est l’entonnoir des touristes arrivant autant que ceux redescendant. Le point central où il est de bon ton de se croiser, de papoter en faisant la queue aux guichets à forfaits. Tous masqués pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Quelle époque formidable.

Habitués à éviter le covid comme Néo de Matrix évite les balles, nous nous déhanchons dès la sortie de l’auto afin de ne pas croiser le postillon du type en face de nous qui, je le soupçonne, a de la fièvre jusqu’aux yeux et sent le Corona à dix mètres. A sa façon de s’habiller on voit tout de suite que le gars n’a pas de gout. C’est un signe !! Marc, que je nomme ainsi pour que l’ARS ne le reconnaisse pas, a le sourire des grands jours. Ce gars est le type même du positif. Toujours content dès qu’il est dehors. Il est très souvent content vu que son métier, c’est prof de gym. Quand à JP, que je nomme ainsi parce qu’il s’appelle Jean Pierre, il commence déjà à coller ses peaux de phoque sous ses Dynastar Mythic 97 sans attendre l’ouverture des remontées mécaniques. Normal, aujourd’hui c’est ski de randonnée à la Dent du Pra. Je le sens positif à sa façon de renifler la neige avec une paille. Son verdict est sans appel…

– Les gars, aujourd’hui ça sent la poudre à plein nez !!

Si mon copain n’est pas positif à cet instant précis et ce, malgré tous les avis des Skitouriens de Grenoble qui nous annonçaient de la croute un peu partout dans toutes les faces et bien, personne au monde n’est positif. Ce qui cela dit, aurait pour effet de mettre notre ministre de la santé au chômage ainsi que tous les épidémiologistes de la télévision avides de temps d’antenne, dans l’obligation de retourner travailler avec leurs éprouvettes.

Je me souviens du temps où le vallon de la Dent du Pra n’était fréquenté que par des randonneurs à skis. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. La station des 7 laux a étendu son domaine jusqu’à la cime de la Jasse, rendant accessible ce vallon sauvage. Rien ne venait perturber le silence des skis glissant sur la neige froide. Ce matin, tout perturbe. Les cris des skieurs en perdition sur un champ de bosses, les skis volants, les glissades incontrôlées des free-riders pas encore frit, pas encore riders. Heureusement que nous nous retrouvons très vite à l’abri des hordes sauvages et des bronzés faisant du ski. Dans chaque positif se cache un négatif qui sommeille. Regardant l’allure de JP, je devinais sans trop de mal que le côté négatif avait commencé à rayer le disque vinyle qui tournait en lui et qu’il était temps de changer de musique pour passer en mode 5G/wifi à tous les étages.

Plus nous montons et plus la neige ressemble à un hymne à la joie. Je fredonne la 5ème symphonie tout en regardant JP tracer au rythme des Guns and Roses. « Marc » calé entre nous deux chante Johnny Halliday. J’entend le son de sa voix entre deux respirations et le boum boum de mon cœur en batterie.

« Et pour garder en toi
Une rock’n’roll attitude
Ne reste pas chez toi avec tes certitudes
Rock’n’roll attitude
La positive attitude !!

Face à nous la dent. Une canine nichée entre deux couloirs bien raides. Nous sommes totalement seuls. Pas un chat. Pas un corbeau. Encore moins un skieur.

Nous savourons les derniers mètres avant d’émerger au soleil. Soleil d’hiver, rasant les crètes, inondant les faces sud et ouest. Notre face nord bien au chaud à l’ombre. Rien que pour nous.

Tandis que je fais la photo du sommet, je me demande pourquoi « Marc » porte un masque ? Reflex du prof de gym au contact des autres skieurs venus par l’autre versant sûrement. Une chose est sûr, ce n’est pas pour masquer son sourire qui, comme les nôtres, sent bon le bonheur d’être là. Je ne voudrais pas être ailleurs à ce moment précis. Juste là, avec mes copains, en montagne. Dans l’absolue positivité que procure l’instant présent. Heureux !!

Nous restons ainsi. Faisant quelques photos, mangeant quelques barres céréales. Encore quelques minutes en suspension. Le couloir puis les pentes en neige poudreuse nous attendent. Comment est ce possible que personne ne soit venu tracer un virage ici ? C’est simplement incroyable. Nous chaussons les skis. Nous nous approchons de la lèvre du couloir. Sous nous l’ombre froide nous appelle. Je regarde « Marc » qui a enlevé son masque puis JP dont les prévisions me reviennent à l’esprit. Il avait raison, encore un mètre et je plonge dans la poudre pour toujours. Enfin presque !!

C’est à la voiture que « Marc » nous raconte sa semaine avec son épouse, malade de la covid. Il nous explique son test positif d’hier au soir et enfin la vraie raison de son désir d’être seul en voiture. Être asymptomatique c’est franchement la classe quand on peut skier comme ça. Franchement, j’ai pas envie de tester ce virus, mais quand même, si je le chope, je veux le même.

Attention, ce texte étant une forme de fiction, il est bien entendu que nous connaissions l’état de notre ami et que nous avons skié en sa compagnie en connaissance de cause.

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